Oron in America, chapter III

Après un passage à Butte, un autre à Helena, nous arrivons enfin, le 28 juillet à Missoula. Missoula est le but final de notre voyage mais c’est avant tout un mythe ! La ville de David James Duncan, Norman Maclean, Richard Hugo, James Crumley, le point de départ de notre amour aussi vaste que le ciel du Montana pour la littérature de l’Ouest américain.

 

Missoula, la ville de Pete Fromm aussi, Pete que nous retrouvons avec une joie immense le vendredi soir, chez lui. Immense également, la joie de rencontrer sa fabuleuse épouse, Rose. Ce soir, Rose nous emmène manger à Lolo, dans les montagnes, à environ 1 heure de Missoula – c’est un peu comme si on allait manger aux  Diablerets depuis Lausanne – dans un endroit magnifique, à la lisière des bois, avec un coucher de soleil somptueux, aux couleurs qui évoquent toutes les nuances de son prénom. Pete nous propose plusieurs activités, demain nous irons visiter la ville, les librairies, le marché. Et dimanche ce sera la grande journée dans la nature. Il nous laisse le choix, souhaite nous emmener à Indian Creek et sur la rivière, avec lui, une journée entière. Je glisse à Rose que Pete n’a peut-être pas que ça à faire et qu’on ne veut pas lui prendre tout son temps. Elle me répond, vous lui avez tant donné en Suisse, il vous donnera tout ici et je suis d’accord avec lui !

 

Indian Creek…le mythe – encore un ! – alors on hésite. Car Indian Creek c’est loin, en Idaho, 6 heures de voiture. On choisit finalement le dimanche de « floating », c’est-à-dire dans un bateau sur la rivière, avec Pete qui rame et nous...à ne rien faire ! Le rendez-vous est donné, dimanche matin, à 7 heures. Notre Nissan Frontier suit la Toyota années 80 de Pete, à son bord le bateau, le matériel de pêche, le pique-nique, des bières, de l’eau. Après 45 minutes de route, au nord, la voici, la majestueuse et sauvage Bitterroot River, il faut gonfler le bateau et nous voilà sur l’eau !

 

Suivront cinq heures extraordinaires sur et dans la rivière. Des heures magiques pendant lesquelles Pete explique, tout, les poissons, les oiseaux, les marques de dents des castors sur des bouts de bois, les arbres, les aigles, le niveau de l’eau – très bas -, et sa température – très chaude qui rend les truites particulièrement difficiles à pêcher car elles stagnent au fond de la rivière à la recherche de fraîcheur -. Il ramasse les – rares – détritus qui flottent sur l’eau – une bouteille, une chaussure – pointe du doigt une cabane sur un sommet au loin. Tu sais qu’il y a un gars qui vit seul là-bas ? Il surveille les feux de forêt. Il y a tant à regarder, à respirer, à observer, Pete s’amuse de notre curiosité et nous lance, moustache malicieuse, c’est plus marrant qu’un dimanche matin à l’église hein ?!

 

La rivière, celle-ci, mais bien d’autres dans le Montana et ailleurs c’est son terrain de jeu, son lieu de vie préféré. Pete la connaît par cœur, il sait qu’un peu plus loin l’eau est plus froide. Il y aura des truites, alors on y va. Après un bon moment d’observation et des lancers de ligne aussi beaux que l’infini qu’ils dessinent, il pêche une truite « cutthroat » et la relâche presque aussitôt.

 

Un peu plus tard, passionnant et patient, Pete nous initie à l’art de la pêche à la mouche. Il faut sortir la ligne rapidement de l’eau, la lancer derrière soi, suivre la mouche des yeux, compter, un, deux, et lancer devant soi. On a rien pêché mais on a hameçonné personne, même pas un écureuil !

 

Le soir nous retrouvons Pete, Rose et des amis dans leur jardin. Pete est au barbecue, avec du saumon d’Alaska, car à Missoula les truites on ne les mange pas ! Il espère qu’on reviendra – oui ! Car quand-même…Indian Creek…il faudra qu’on y aille ensemble. Je lui demande si il se souvient des mots qu’il a écrit dans mon exemplaire du « Nom des étoiles », à l’issue du festival L’Amérique à Oron. Oui, il se souvient. Marie ! You made the dream come true ! Alors je lui dis, toi aussi Pete, aujourd’hui you made my dream come true.

 

Depuis ce dimanche 30 juillet 2017 des milliers d’étoiles brillent dans nos yeux. Comme une évidence, une chance, elles portent toutes le même nom. Montana.


Oron in America, chapter II

Le 25 juillet nous quittons le Yellowstone Park par la sortie nord, celle qui nous mène dans le Montana ! Le soir nous avons rendez-vous avec Callan Wink, à Livingston. Ce jeune homme de 32 ans est guide de rivière en été et écrivain en hiver, quand la rivière est gelée. Son premier livre « Courir au clair de lune avec un chien volé » sortira en septembre. Aux Etats-Unis ce superbe recueil de nouvelles a été acclamé par les plus grands auteurs : Thomas McGuane, Ron Rash et Jim Harrison avec qui Callan a passé beaucoup de temps, sur l’eau… et au Murray Bar !

 

Le Murray Bar, endroit mythique en plein cœur de la petite ville de Livingston, paradis des pêcheurs, c’est là que nous retrouvons Callan qui a passé sa journée sur la Yellowstone River. Très vite le courant passe entre nous, il nous raconte sa rivière, les touristes – principalement américains – qu’il emmène pêcher, à la mouche, dès le lever du jour. Callan est devenu écrivain parce qu’il a été lecteur, dès son plus jeune âge. Il a grandi dans le Michigan, sans télévision. Alors il a dévoré les livres et puis, pour ses études, il est venu dans le Montana. Pendant qu’il nous parle de ses auteurs préférés – Annie Proulx, Thomas McGuane, Kent Haruf et tant d’autres... – il nous dit qu’il y a un autre auteur qu’il aime bien, assis au Murray Bar, juste là, un peu plus loin. Callan nous présente à Carl Hiaasen, écrivain qui vit en Floride mais qui possède une maison d’été à Livingston ! On explique à Carl que nous sommes libraires en Suisse et que nous vendons très bien ses livres. Il nous remercie, est étonné d’être lu, connu et aimé en Suisse. Il est reconnaissant, comme le sont tous les écrivains américains que nous avons rencontré, ailleurs et ici.

 

Peut-être parce qu’ils sont les deux originaires du Michigan, Callan Wink et Jim Harrison sont devenus très amis, alors Callan nous parle de Big Jim. Des heures et des heures passées sur la rivière, à pêcher, à parler de livres, de la vie, des conseils que Jim lui a donné lorsque le livre de Callan a trouvé un éditeur. Ne t’attends pas à être invité à des cocktails à New York, lui a lancé Jim, dans les volutes de fumée de son American Spirit préférée. Il nous raconte aussi le voyage d’un ami, parti dans l’Arizona chercher une partie des cendres de Jim Harrison, pour pouvoir les déverser dans la rivière, ici.

 

On fait le tour du « hall of fame » des pêcheurs à la mouche, des centaines de portraits dans le Murray. Il y en a un de Callan, regarde j’étais tellement jeune, je ressemble à rien ! On discute encore, longtemps, de nos lectures, de notre voyage, de nos vies de libraires, de la Suisse, de son séjour prochain en France – il résidera 3 mois à Vincennes et viendra à Oron le 27 septembre avec son éditeur français, Francis Geffard – de la nature ici qui sans l’ombre d’un doute lui manquera là-bas.

 

A la fin de la soirée Callan pointe un tabouret du doigt, c’était celui de Jim, nous dit-il avec de la joie et de la mélancolie dans ses yeux bleus clairs, évidemment, couleur rivière.


Oron in America, chapter I

Pas de festival L’Amérique à Oron cette année, alors Nicolas et moi avons décidé de répondre positivement aux invitations lancées par quelques auteurs, c’est ainsi que nous nous sommes envolés le 11 juillet, direction… Oron in America !

 

Après quelques jours à New York, à Denver, à Boulder, les impressionnantes Rocky Mountains, le Wyoming avec Cheyenne et même un pas dans le surchauffé et plat Nebraska, nous voici, le 20 juillet, dans un bar de Rapid City dans le Dakota du Sud.

 

Les yeux fixés sur mon téléphone nous attendons les indications de Jill O’Brien pour rejoindre le ranch où elle vit avec Dan et quelque… 350 bisons ! Le message est là, il faut environ 1 heure de voiture pour arriver au ranch, les indications sont précises, 18 miles tournez à gauche, 7 miles tournez à droite, 15 miles la route fait un «  y » prenez à gauche. Appelez si vous êtes perdus ! On décide de ne pas se perdre, on met le compteur de la Nissan Frontier à zéro et on compte les miles ! La route en terre qui mène chez Jill & Dan est sublime, isolée, perdue au milieu de la prairie. Au bout de cette route-là il ne peut y avoir qu’un seul endroit. Le paradis, évidemment.

 

Enfin, le ranch, nous y sommes ! Dan ouvre la porte avec un grand sourire, des yeux qui pétillent et un « welcome » aussi grand et chaleureux que la prairie. Bières ou whisky pour commencer mes amis ? On choisit bières, le whisky ce sera pour après. Après avoir rencontré les bisons et se remettre de nos grandes émotions. Casquette vissée sur la tête, bière à la main, Dan nous emmène dans une voiturette entièrement ouverte, je pense naïvement que les bisons sont à quelques mètres et d’ailleurs je m’étonne de ne pas les voir à l’horizon.

 

En fait il faut à peu près 45 minutes de petite voiture pour atteindre le troupeau. 45 minutes à travers les terres de Dan, qui conduit d’une main et boit sa bière de l’autre, s’arrête pour ouvrir et refermer une barrière, nous présente ses chevaux, nous explique l’écosystème de la prairie et vérifie l’eau – l’abreuvoir est grand comme une piscine dans laquelle on pourrait mettre environ 50 personnes ! - des bisons. C’est tout ce dont ils ont besoin, de l’eau, d’autant plus qu’il fait plus de 40° à l’ombre. Il n’y a pas d’ombre, évidemment.

 

Dan nous a dit qu’on allait être très près des bisons, une seule consigne de sécurité : ne pas tendre la main pour les toucher. Soudain nous sommes plus que près des bisons, nous sommes… au milieu du troupeau, parmi eux, animaux immenses, majestueux, impressionnants, sauvages et magnifiques ! Ils sont à quelques centimètres de nous, des mâles, des femelles, des jeunes, des vieux, Dan nous explique leur manière de s’appeler, de jouer, comment il choisit celui qui sera abattu – au poids, à l’œil - Nos cœurs palpitent à 80 miles à l’heure. Mais ce n’est pas de la peur. C’est l’intensité du moment. L’émerveillement.

 

De retour au ranch nous découvrons le merveilleux repas que Jill a préparé pendant notre balade : du bison apprêté de trois façons différentes. C’est un délice absolu, accompagné cette fois par du vin et du whisky ! Dan nous a beaucoup parlé de l’Amérique à Oron, du plaisir qu’il a eu à échanger avec ses lecteurs, de son bonheur d’être considéré comme un écrivain. Ici ce n’est pas le cas, il est connu comme chef d’entreprise, d’ailleurs la Wild Idea Buffalo Co. vient de recevoir un prix décerné par la ville de Rapid City. L’entreprise de Jill & Dan emploie 25 personnes ce qui, économiquement, est très important pour ce coin de pays isolé.

 

Quand nous étions parmi ses bisons, Dan nous a dit qu’il y avait une croyance indienne ici. Ceux qui ont regardé un bison dans les yeux ont compris ce qu’était la sagesse et seront changés, à jamais. Et c’est ce que nous ressentons en quittant le ranch, une plénitude, le sentiment de ne plus être tout à fait les mêmes. Frappés, en plein cœur, par tant d’émotions, d’affection, d’horizon. Et de bonheur.